En général c’était le bruit qui le réveillait, le bruit de la rue, le bruit de Paris.
Parfois les carrosses ou les attelages
Parfois des vendeurs de journaux a la sauvette un peu trop zélés
Parfois le gramophone du voisin ... il est vrai que le vieil homme était sourd et les murs fins
On lui a passé une commande, mais le sujet ne le passionnait pas. Peindre l'Exposition Universelle aurait pu être un sujet intéressant pourtant, à condition d'aimer son gigantisme. Gigantisme de ses exposants comme ces frères Lumières animant des tableaux géants, gigantisme de son orgueil, s'étalant partout autour de la Seine. Gigantisme de cette tour de poutres et de boulons s’érigeant, au Trocadéro, telle un hommage à la virilité masculine.
Mais il préférait les portraits, telle était mon inspiration. Les portraits de femmes, jeunes et belles, dont le regard exprime toute la fragilité du monde.
Peindre des femmes différentes pour s'en rappeler une seule et les jours heureux vécus en commun couchés sur la toile pour immortaliser : doux visage sur fond de plage, de champs ou de collines. Immortalité ephèmere dévorée par la choregraphie jaune et rouge de ces danseuses du balai des allumettes pour oublier un visage de plus en plus triste, un regard de plus en plus absent à mesure que le temps passait et la rapprochait de la fosse.
Depuis, le même enchainement : ma vague inspiratrice recréant l'envie faisant naitre un visage rappelant Justine, telle une obsession, ... noyée par le liquide verdâtre
L'Absinthe était sa seule compagne, elle lui vidait sa tête dans laquelle il faisait si noir certaines nuits embrumées. Ses yeux brulants, ouverts au monde, ne voyaient rien. Il ne percevait que lorsqu'ils les fermaient.
Et toujours ces tambours dans son crane, résonnants, rebondissant contre chaque paroi, lui faisant perdre contrôle de son équilibre précaire. Se relevant il vit une lumière : Le jour le sauvait a chaque fois il le savait. Il s'approcha d'une fenêtre mais ne recu que la nuit, froide, humide, lui rappelant sa solitude et son désespoir.
Le jour le trahirait il ?
Ses jambes le retournèrent, en avait il encore le contrôle ? Et tel un pantin démantibulé il s'avança a travers la pièce. Des échardes nés de bris de tableaux agressèrent ses pieds, mais ceux ci ne se plaignirent point et le pantin, le guignol continua d'avancer quelques mètres et ses jambes n'acceptèrent de l'arrêter que pour vomir une partie du liquide vert et déglutir un peu de son désespoir
Maintenant a genoux, ses mains lui firent prendre une petite forme oblongue en métal qu'il inséra dans un rangement prévu a cet effet. Le froid contre sa tempe ne lui fit aucun effet. La détente se relâcha, presque d'elle même
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Il regarda cet appareil au son si clair dans ce monde si flou
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Il se mit à rire sans comprendre pourquoi
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Puis à pleurer, reprenant une infime partie de sa raison
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Un nom s'échappa de ses sanglots : Justine
*** PAN ***
Un ruisseau rouge s'écoula, épousant chacun des interstices jusqu'a les inonder, formant une tache sur le parquet brun. Le contact humide de la flaque lui fit ouvrir les yeux ... une derniere fois avant de sombrer ...
Il sombrait avec, pour seul témoin, un dernier portrait, un dernier visage triste sur lequel semblait pourtant se dessiner un sourire d'ange.
Il sombrait ... pour me rejoindre
J.