tu ne parles plus mais un sourire illumine ton visage comme un masque de bonheur permanent,
veux-tu que nous fassions un jeu ?
…….
Tu as envie de parler ?
……
Pose n’importe lequel de tes doigts sur la paume de ma main, tu veux bien ?
…….
D’accord, je vais le faire pour toi, voilà! Comme une caresse d’aile de joli papillon,
je te pose une question et si tu le veux bien, tu me réponds par une touche légère ;
tu m’as compris ?
Mon cœur se met à battre plus fort, une légère pression au creux de ma main et tu revis pour moi.
J’ai l’impression que tu souris plus que les autres jours je me trompe ?
…..Non
Pourquoi garder le silence alors ! Tout ça me bouleverse, me fait mal, je sais que tu n’y peux
rien et moi non plus ! Vois-tu encore la couleur rouge vif du coquelicot dans le pré vert derrière
chez nous avec sa base d’un noir velours, le jaune et blanc de la marguerite ?
….Oui
Sens-tu toujours la brise légère sur ta joue ? La chaleur du soleil sur tes paupières? Entends-tu le clapotis de notre canal quand une péniche vagabonde vient nous inviter à son voyage à l’autre bout du monde? Te rappelle tu nos promenades sur un chemin de hallage cahoteux ?
Te souviens-tu de ton regard sur moi quand le mien suivait le mouvement gracieux des hanches d’une belle qui croisait notre route?
Te souviens-tu, aussi, des histoires drôles que je te racontais? Ta poitrine se soulevait et dans un grand rire silencieux, tu hochais la tête pour me faire comprendre que tu avais bien aimé.
… Oui
Te rappelle tu quelques unes de mes colères quand un indélicat sur le trottoir avait garé sa
voiture nous empêchant de poursuivre notre tour de quartier quotidien ? L’un poussant l’autre, unis pour une fin de grand voyage.
Le jour du grand départ est arrivé mais je faisais semblant de ne pas le voir ! Bien sûr, je le pressentais, mais l’admettre, jamais!
Prolongeons notre conversation d’amour, veux-tu ?
…..Oui
Tu me réponds du bout des doigts, tes mots de silence sur la paume de ma main, des terminaisons nerveuses de mon corps à mon cerveau, d’une escale vers mon cœur….
…..
Pourquoi souris-tu ? tu te moques, ou quoi ? une caresse pour non, deux pour oui ,
….Oui
Comment ça oui !!!
Tu m’aimes ?
… Non
Comment ça, non !! tu plaisantes ?
…..Oui
Tu aimes que je te dise "je t’aime", non ?
….Oui
Aurais tu aimé que l’on te le dise plus souvent, je t’aime ?
… Non
Je crois comprendre ce" non", moins souvent mais plus vrai, c’est ça, non ?
…Oui
J’aime bien ce dialogue de sourd qui ne veut pas voir !
Pourquoi ce rictus de joie sur ton visage de vieille pomme frippée? tu es dans ta bulle et tu
trouves encore le moyen de te foutre de ma g…..
.....Oui
Dis-moi comment tu es ? comme dans un petit monde à toi, j’imagine !!
Tu es bien ? Mille et une questions me viennent à l’esprit : comment vois tu la vie autour de toi
maintenant, toi qui ne parle plus, entends tu encore le roucoulement de la tourterelle, sur le balcon, tu sais celle qui m’énerve quand je veux dormir un peu plus tard ....
Tu ne veux pas ressortir un peu de ta bulle juste un moment pour que l’on recommence la vie ?
On pourrait voir à deux ce qui a cloché, je ne suis pas médecin mais….
…. Non
Attends que je sèche une larme sur ta joue !! tu pleures ou tu ris ? Tiens, je vais te raconter une
bonne blague , toto qui va à la plage et.. quoi ? elle est con ?
…..Oui
J’aimerais que tu me fredonnes encore, comme quand j’étais petit, ces airs d’opéras dont tu connaissais presque tous les titres et leurs interprètes .
Un jour de 1998, tu es rentrée dans un sommeil voleur, me laissant encore plus solitaire qu’avant, l’infirmière a introduit un tube pour nourrir ton corps meurtri, malgré ma tristesse j’ai éprouvé ce jour là, une fierté à te donner encore un peu de vie à travers un cordon ombilical en plastique, une nourriture laiteuse un peu comme le sein qui m'a nourri.
Un matin ensoleillé, il a plu dans mon cœur, comme une vie à l’envers ,tu es partie bien loin....
Ton fils Pierre